La Colline Saint-Serge est l’un des hauts lieux de l'Orthodoxie à Paris, connu en France et dans le monde entier. En effet, depuis plus de quatre-vingt-dix ans, le 93 rue de Crimée, dans le 19e arrondissement de Paris, près du parc des Buttes-Chaumont, abrite l’Institut de Théologie Orthodoxe Saint-Serge et l’église de la paroisse orthodoxe Saint-Serge, fondés par des émigrés russes ayant trouvé refuge en France après la Révolution de 1917.


La colline Saint-Serge et son église

un peu d'histoire


Le pasteur F. von Bodelschving

De 1858 à 1914, la colline fut le siège d’une paroisse protestante très connue. Son origine remonte à certains détails de l’histoire de Paris, détails oubliés de nos jours. Au milieu de 19ème siècle, Paris était le refuge de nombreux émigrés allemands dont la majorité vivait misérablement en travaillant comme chiffonniers et balayeurs de rues. Tant bien que mal une mission protestante allemande s’occupant des émigrés protestants. Entre autres quartiers, ces émigrés vivaient nombreux dans le faubourg de la Villette.

La propriété de la «colline Saint-Serge» est une colline artificielle constituée de remblai provenant du creusement du Parc des Buttes-Chaumont, avant qu’en 1857, une mission ouvrière protestante allemande, fondée par le pasteur F. von Bodelschving, ne fasse l’acquisition du terrain. Alors qu’il se promenait dans le quartier de La Villette en quête d’un local pour un temple et une école, le pasteur von Bodelschving découvrit cette colline et éprouva un sentiment étrange qu’il décrivit plus tard dans ses mémoires de la sorte : «Je sentis une grande paix m’envahir et j’eus l’impression d’entendre une voix qui me disait : ‘Cette colline appartient au Seigneur’ ». Dès l’année suivante, Bodelschving y édifie une première maison (à l’entrée de la rue de Crimée), puis, en 1859, une seconde, sur la hauteur de la colline. En 1861, est construit un temple réformé qui sera agrandit deux ans plus tard. En  1871 , au moment de la Commune, de violents combats se déroulèrent aux abords des Buttes-Chaumont. Plusieurs obus tombèrent alors sur la colline et l'un d'eux explosa dans l'église sans causer de grands dommages La mission ouvrière allemande, qui desservait aussi bien les fidèles protestants du quartier que la communauté émigrée allemande subsista jusqu’en 1914. Au début de la première guerre mondiale, la propriété fut mise sous séquestre par les autorités françaises et, après plusieurs années à l’abandon, il fut décidé de la mettre en vente au titre des dommages de guerre, en 1924.

C’est là que commence l’histoire de la « colline Saint-Serge » grâce à la vision et à l’énergie du métropolite Euloge (Guéorguievsky) qui, de 1921 à sa mort en 1946, présida aux destinées des églises orthodoxes russes en Europe occidentale. Le métropolite Euloge souhaitait ouvrir une deuxième église orthodoxe russe à Paris, l’église Saint-Alexandre-Nevsky de la rue Daru s’avérant insuffisante pour accueillir les nombreux fidèles qui s’y pressaient les dimanches et fêtes. Il voulait aussi ouvrir une école de théologie permettant de prolonger l’enseignement de la théologie orthodoxe dorénavant interdit en Union soviétique ainsi que de former de futurs prêtres en vue d’un retour espéré en Russie et, dans l’immédiat, pour les besoins des communautés de l’émigration. La propriété de la rue de Crimée lui semblait le lieu idéal pour réaliser son projet.

Le 18 juillet 1924, jour de la fête de saint Serge de Radonège, l’un des grands saints du Moyen-Âge russe, le métropolite Euloge réussit à sa porter acquéreur du terrain et de ses immeubles, en vente aux enchères. Lors de la vente, l’avoué du métropolite, M.M. Ossorguine, proposa jusqu’à 320 000 francs de l’époque alors qu’il ne disposait pas même de 5 % de la somme, mais les efforts de tous les membres de toute la communauté russe émigrée, malgré une pauvreté extrême, ainsi que la générosité de quelques amis bienfaiteurs, notamment protestants et anglicans, mais aussi d’un grand banquier de confession israélite originaire de Russie, permirent finalement de rassembler l’argent nécessaire.


SOUVENIR DE L'ACHAT PAR M. OSSORGUINE


Les mois qui suivirent furent dédiés à la remise en état de la propriété et l’ancien temple protestant fut transformé en église orthodoxe de style traditionnel russe avec une très belle iconostase et des peintures murales réalisées par le peintre Dimitri Stelletsky (1875—1947), qui s’inspira du style religieux russe du XVIe siècle. Pour les portes centrales (« portes royales ») de l’iconostase, tant au niveau de l’autel principal que de l’autel latéral de gauche, on utilisa des portes originales russes du XVIe siècle (école de Novgorod), offertes par un collectionneur d’art (on peut encore les admirer à leur place aujourd’hui). La dédicace solennelle de l’église placée sous la protection de saint Serge de Radonège eu lieu le 1er mars 1925. Au même moment, l’Institut de théologie ouvrit ses portes grâce à l’arrivée à Paris d’une pléiade d’intellectuels chrétiens chassés d’Union soviétique, parmi lesquels des théologiens, philosophes et historiens de renom. Les pièces du rez-de-chaussée, sous l’église, furent utilisées comme salles de classe (fonction qu’elles conservent aujourd’hui encore) et de dortoirs pour les premiers étudiants.

Dans le discours qu’il prononça lors de la dédicace de l’église Saint-Serge, le métropolite Euloge exprima ainsi son intention quant à la mission de sa fondation : « Comme nous voudrions que se forme ici un foyer lumineux de l’Orthodoxie et qu’en ce lieu affluent tous ceux qui se sentent épuisés, à bout de force, comme accouraient jadis au monastère Saint-Serge ceux qui ployaient sous le joug tatare, pour y trouver une consolation et y puiser des forces spirituelles nouvelles ! Puisse cette église devenir un lieu de rapprochement et de rencontres fraternelles de tous les chrétiens ! De nos mains d’hommes nous avons construit un temple humble et pauvre. Mais des fondements solides ont été posés. Sur ces fondations, construisons un temple spirituel qui ne devra rien aux mains de l’homme et dont le but sera d’imprimer l’image de la sainte Orthodoxie dans les cœurs des étudiants et de tous ceux qui viendront prier ici. Que notre saint protecteur, saint Serge, entende et exauce nos prières ! ».

L’année suivante, en 1926, la propriété acquit son aspect définitif avec l’installation, le long du chemin menant à l’église, d’un ancien petit pavillon provisoire de l’Exposition Universelle de Paris de 1900, récupéré auprès d’un ferrailleur. Dans cette maisonnette, il fut décidé de loger, au rez-de-chaussée, la fabrique de cierges pour les besoins du diocèse et, à l’étage, un dispensaire médical pour les émigrés russes dans le besoin ainsi qu’un centre de documentation religieuse (la plaque du dispensaire est encore visible au-dessus de la porte du bâtiment). Par la suite, l’appartement du 1er étage accueilli un prêtre et sa famille, jusqu’au début des années 1990. A la même époque, la fabrique de cierges fut définitivement fermée en 1990. Depuis, le bâtiment est resté inoccupé, sa restauration, commencée au début des années 2010 grâce aux efforts de la paroisse, est aujourd’hui interrompu, faute de moyen pour mener l’opération à terme. Ce pavillon rénové devrait abriter des salles pour les réunions paroissiales, les cours de catéchèse, les conférences ouvertes au public, les réunions œcuméniques, des archives.

Institut de Théologie Orthodoxe Saint Serge

Fondé en 1925 et destiné d’abord à former des prêtres pour l’émigration, il devint rapidement une faculté de théologie orthodoxe qui forma non seulement des prêtres, mais également des professeurs, des laïcs appelés à un travail actif dans l’Eglise. Parmi les professeurs de l’Institut il y eut des théologiens de grand renom dont les travaux ont largement contribué à faire connaître la pensée théologique, la spiritualité et la liturgie orthodoxes à la chrétienté occidentale. Sa S. le Patriarche Oêcuménique lui a accordé le droit de conférer les grades de maître et docteur en théologie.

L’Institut a formé plus de 250 prêtres, 10 évêques et 15 professeurs de théologie. il s’honore d’avoir eu des maîtres dont els noms restent un témoignage vivant de la science théologique et e la pensée religieuse russe et dont la renommée s’étend actuellement bien au-delà du monde orthodoxe : le père Serge Boulgakoff, le professeur Antoine Kartachoff, le père Basile Zenkovsky, l’archimandrite Cyprien Kern, le professeur Boris Vycheslavtseff, le professeur Georges Fedotov.

Conscients de toutes les valeurs spirituelles que représente un tel héritage et reconnaissants à Dieu de tout ce qui a été fait dans le passé, ceux qui portent aujourd’hui la responsabilité de l’Institut Saint Serge se tournent avec foi vers l’avenir, décidés à tout faire pour que l’œuvre commencée ne soit pas interrompue, et qu’elle soit continuée dans le même esprit de fidélité à la tradition orthodoxe, ainsi aussi en ouverture constante à tous les problèmes spirituels du monde contemporain. Au milieu des difficultés matérielles grandissantes, l’Institut Saint Serge se tourne vers tous ses amis pour qui la cause de la culture spirituelle orthodoxe est chère. Il remercie tous ceux qui le soutiennent dans sa mission et son témoignage.

La maison principale qui abritait les locaux administratifs de l’Institut de théologie et de ses professeurs attend d’être à son tour restaurée. Un bâtiment moderne construit en contre bas de la propriété, dans les années 1970, qui servait à loger les étudiants a également besoin de rénovation. La riche bibliothèque de l’Institut qui contient plus de 25 000 volumes, en russe et en d’autres langues, est aujourd’hui accessible sous l’église et le clocher attenant, édifié, en 1950, dans le style traditionnel russe. Depuis une douzaine d'années une association de bénévoles regroupant des habitants du quartiers et amis assure gracieusement l'entretien du jardin et des plantes sur la propriété.

Situation actuelle et projets

Avec des moyens financiers limités et sans aides publiques, les émigrés russes et leurs descendants, aujourd’hui complètement assimilés dans leur pays d’accueil, on su faire de cette « colline Saint-Serge » (appelée aussi dans les milieux orthodoxes russes « Sergièvskoïé Podvorié » ou « Prieuré Saint-Serge ») un centre spirituel connu dans le monde entier, qui a su s’imposer à la fois en tant qu’école de formation religieuse (un patriarche, une quarantaine d’évêques et plus de quatre cents prêtres y ont fait leurs études), mais aussi comme un lieu de dialogue et de rencontre entre représentants de diverses confessions (avec ses fréquents colloques œcuméniques et interreligieux). La paroisse accueille des fidèles habitant majoritairement la Ville de Paris et sa proche banlieue. Elle reçoit également de nombreux visiteurs intéressés par l’art orthodoxe russe. Elle mène des actions œcuméniques avec les autres chrétiens du 19e arrondissement de Paris. Ce site pittoresque, avec ses maisonnettes peintes et son église tout aussi colorée ainsi que son jardin où il fait bon s’arrêter pour écouter le carillon du clocher, est devenu aujourd’hui un véritable lieu de mémoire de l’émigration russe et de l’Orthodoxie en France. Ce site est chargé d’un siècle et demi d’histoire lié, avant 1914, à un temple protestant et, depuis 1924, à l’Eglise orthodoxe.

Aujourd’hui, la propriété de la « colline Saint-Serge » a besoin d’investissements importants afin de maintenir et de rénover ses locaux attaqués par l’usure du temps. Le sol sur lequel s’élève l’église et les autres bâtiments de la propriété est instable (avec plusieurs mètres d’anciennes carrières en dessous des fondations) et nécessite d’être drainé et solidifié. Les travaux de restauration des fresques de l’église, engagés depuis près de vingt ans par la paroisse Saint-Serge grâce aux fonds récoltés par elle à cet effet ainsi qu’à des subventions de la municipalité de Paris, sont quasiment terminés, mais les murs porteurs de l’édifice réclament des consolidations.

Pour pouvoir mener à bien ces vastes projets, il est indispensable d’obtenir le soutien des autorités civiles compétentes et l’aide des donateurs et sponsors qui aujourd’hui, comme d’autres avant eux dans les années 1920, auront à cœur, à leur tour, de contribuer au maintien d’un lieu de mémoire tout à fait original à Paris et largement ouvert au public, mais également de contribuer au maintien d’un lieu de vie à la fois associative, intellectuelle et spirituelle qui est aussi un lieu de rencontre où aiment à venir des gens de tous horizons, croyants ou non, soucieux de se ressourcer dans un havre de quiétude et de beauté.