Concert caritatif

 

Dimanche 11 juin 2023 après-midi, dans la salle sous l’église, immédiatement après le chœur de Saint Serge dirigé par Mathieu Malinine, nos amis Dhyani et Kristoffer ont interprété, au piano et au violon, des compositions classiques pendant près d’une heure, devant un public à la fois ému et ébloui. Ils sont venus spécialement de Finlande et ils ont accepté de donner ce concert, gratuitement. A la fin, nous les avons remerciés chaleureusement.

Ce concert caritatif, organisé par et au sein de notre paroisse, n’était pas un simple divertissement. La Philocalie nous l’enseigne à plusieurs endroits : dans notre existence au quotidien, il ne devrait pas y avoir de moments consacrés au Seigneur puis d’autres moments où le Seigneur serait absent. Souvenons-nous que saint Séraphin de Sarov, très vénéré dans notre église de Saint Serge, avait désigné les lieux, autour de sa cellule, au milieu de la forêt, en leur donnant des noms tirés de l’Evangile : mont Thabor, mont des Oliviers, Mont Golgotha, etc. De cette façon, à chaque heure du jour et de la nuit, à travers ces noms de lieux fréquentés par le Christ, au cours de son ministère terrestre, il pouvait se tenir dans la présence et dans l’intimité de son Seigneur, Ce concert était, d’un bout à l’autre, un hymne à la création et à la beauté. Sans exagérer, sur l’instant puis après-coup, nous avons pu rendre grâce à Dieu qui a créé l’homme et la femme à son image et suivant sa ressemblance.

Notre paroisse Saint Serge fait partie de l’archevêché des églises orthodoxes de tradition russe en Europe occidentale. Nulle part autant qu’en Russie, reconnaissons-le, la religion orthodoxe a été un ferment et un levain qui a permis de développer, d’inspirer et d’amplifier la créativité dans de très nombreux domaines artistiques : iconographie bien sûr, chant (religieux et profane), musique, poésie, littérature, dessin, peinture, chorégraphie, sculpture, architecture, etc. C’est important de le rappeler, avec objectivité, à l’heure où, à cause du conflit militaire que vous savez, se développe malheureusement et injustement, en France, en Europe et dans le monde, un racisme, un rejet et une exclusion de tout ce qui se rapporte à la culture russe, au sens large.

Ce dimanche 11 juin, c’était le dimanche de tous les saints de notre Eglise, une semaine après l’événement de la Pentecôte, c’est-à-dire après la descente du Saint Esprit sur chaque fidèle. Le chemin de la sainteté, c’est avant tout de renoncer, autant que possible, à sa volonté propre et de faire que ce soit la volonté de Dieu qui s’accomplisse pour chacun et chacune de nous, et ce, chaque jour de notre existence jusqu’à notre dernier souffle. Vous allez entendre successivement trois compositions créées par trois auteurs différents : c’est Dhyani et Kristoffer qui ont choisi, à l’avance, ce programme musical. J’ai pu déceler une sorte de fil d’Ariane qui les réunissait : à chaque fois, en effet, nous pouvons déceler le surgissement ou l’irruption de la liberté personnelle.

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Nous avons d’abord entendu la sonate de printemps, 5ème sonate pour violon et piano, de Beethoven.Saint Jean Chrysostome nous enseigne que la vocation de tout chrétien, c’est de rechercher et d’atteindre la rencontre entre la volonté personnelle et la grâce divine, entre l’effort humain et l’inspiration de l’Esprit Saint. Beethoven est âgé de 32 ans. Il prend alors conscience de sa surdité qui va progresser jusqu’à devenir totale 12 ans plus tard, à l’âge de 44 ans. Il est tenté de se suicider et il exprime, dans une lettre, son extrême tristesse : « Je suis frappé d’un mal terrible. D’année en année, déçu par l’espoir d’une amélioration, j’ai dû m’isoler de bonne heure, vivre en solitaire, loin du monde ». A la fin de sa vie, enfermé dans sa surdité, il communique avec son entourage à l’aide d’un cahier de conversation. Il utilise aussi une baguette de bois placée entre les dents, appuyée sur la caisse du piano, pour sentir les vibrations. Il est resté croyant, sans être un pratiquant assidu. Il est mort à 56 ans. Dans le 1er livre de Samuel, nous pouvons lire : « Dieu ne considère pas ce que l’homme considère. L’homme regarde à ce qui frappe les yeux, mais Dieu regarde au cœur » (1 Sam. 16,7). Seul Dieu connaît le secret du cœur de chacun d’entre nous, ses douleurs et ses souffrances. Pour cette raison, il convient de ne pas juger son prochain. Cette composition a duré 20 minutes.

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Eugène Ysaÿe était à la fois violoniste, compositeur et chef d’orchestre belge (19ème et 20ème siècle). Il a composé un poème, en s’inspirant de l’histoire de Roméo et Juliette. Juliette, âgée de 14 ans, et Roméo, à peine plus âgé, se sont rencontrés par hasard et sont tombés amoureux. Mais Juliette était promise à un autre garçon et ils ont dû tous les deux lutter contre la haine de leurs familles et de leurs clans pour pouvoir être réunis. Pour échapper à un mariage forcé, Juliette a décidé d’avaler un produit narcotique pour se faire passer pour morte. Roméo l’a trouvée avant son réveil et, pensant qu’elle était morte, il s’est suicidé de tristesse. Cela nous ramène à la responsabilité de la volonté humaine. Celle des deux adolescents, celle des parents, celle des familles respectives opposées. Mais où est le plan de Dieu dans cette histoire tragique ? Où est la volonté divine ? Celle-ci est présente mais elle n’est tout simplement pas audible, encore moins perceptible. Dans la prière du Notre Père, il y a deux demandes qui se suivent et qui se soutiennent : « que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel ». Eh bien, pour entendre, comprendre et discerner la volonté de Dieu, il faut entrer dans une forme de silence et d’isolement, il faut s’éloigner de ce monde bruyant et mensonger. Cette composition a duré un peu moins de 15 minutes.

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Pour terminer, nous avons entendu le scherzo de Brahms, une œuvre qu’il a écrite dans sa jeunesse, comme cadeau à un ami violoniste. Là aussi, il est question de volontés humaines, mais qui sont restées en deçà, et qui n’ont pas osé franchir le pas de la réalisation. Après la mort de Robert Schumann, Johannes Brahms et Clara Schumann ont voyagé ensemble en Suisse, ils avaient de l’affection l’un pour l’autre, ils étaient des amis chers mais, d’après certains biographes, certainement pas des amants. Clara est restée fidèle au souvenir de son mari et Brahms ne s’est pas senti prêt à s’engager ni à l’épouser. Peu importe : que leur secret soit gardé au fond de leur tombe. Retenons qu’il s’agit de deux grands artistes : Lui, Brahms, figure majeure de l’histoire de la musique ; elle, Clara, la plus grande pianiste de son temps ; sans oublier l’immense Robert et l’amour si fort de ce couple exemplaire. Cette composition a duré moins de 6 petites minutes.

Higoumène Alexis