Dimanche 13 mars 2022

Premier dimanche du grand carême

Triomphe de l’orthodoxie

(Jn 1; 43-51)

 

 

 

 

Au nom du Père, et du Fils et du Saint esprit,

 

 

Dans l’évangile d’aujourd’hui, selon saint Jean le Théologien, on trouve de nombreux titres – pas moins de six – pour qualifier la personne de Jésus, en seulement neuf versets, notamment :

— Rabbi – равви

— Fils de Dieu – сын божий

— Roi d’Israël – царь исраилев

— Fils de l’homme — сын человеческий.

 

Il y a là, sans doute, un enseignement qui nous est donné.

Dans le domaine de l’Eglise, il faut respecter une immense précaution lorsqu’il s’agit de qualifier les choses ou les personnes : on doit le faire avec précision, dans un souci de vérité, tout en préservant un certain mystère attaché à l’aspect religieux ou transcendant.

 

A l’époque de monseigneur l'archevêque Georges de Syracuse (TARASSOV), dans les années 1965—1970, le patriarche Athénagoras a rompu le tomos qui reliait notre Archevêché avec le Trône Œcuménique

 

Pendant plusieurs années (4 ans, environ), notre Archevêché a continué d’exister mais, malheureusement, sans pouvoir commémorer le primat d'une Eglise canonique. Cette situation de fait, que nous n’avions pas choisie et qui nous a été imposée par les circonstances historiques, n’était certes pas conforme aux canons et règles de l’ecclésiologie orthodoxe, mais pouvait se réclamer à sa décharge d'une certaine indulgence (économie).

 

En 2018, Sa Sainteté le patriarche œcuménique Bartholomée, a décidé d'annuler (sans autre forme de procès) le tomos qui garantissait non seulement l'attachement, mais l'autonomie interne de l'Archevêché au patriarcat de Constantinople.

 

Il a fallu trouver une Eglise canonique qui accepte de nous offrir l’hospitalité et de nous garantir la canonicité, l’intégrité et la spécificité de notre entité ecclésiale, afin de nous permettre de continuer à exister légitimement, en lien avec l'Eglise du Christ toute entière.

 

Finalement, après plusieurs mois de recherches, de tâtonnements, de pistes examinées, de contacts, de tractations, et à la suite de la réunion d’une assemblée des clercs de notre archevêché (le 7 septembre 2019, s’était tenue l'assemblée clérico-laïque), Mgr Jean a pris la décision de rattacher notre Archevêché au patriarcat de Moscou.

 

Il nous faut donc être reconnaissants et témoigner d’une grande gratitude à l’égard du patriarcat de Moscou, particulièrement en la personne de Sa Sainteté le patriarche Cyrille, d’avoir accepté de nous accueillir et de nous prendre sous son omophore afin que nous soyons rattachés à une Eglise canonique – l’Eglise orthodoxe russe — , et que nous puissions former, pour notre archevêché, une entité ecclésiale canonique.

 

Nous sommes, aujourd’hui, à la fin de la première semaine du grand carême.

Nous célébrons, aujourd’hui, en ce dimanche, la fête du triomphe de l’orthodoxie, en souvenir et en l’honneur du rétablissement définitif de la vénération des saintes icônes, en 843, au milieu du 9ème siècle, plus de cinquante ans après le 7ème concile œcuménique.

Ce retour solennel au culte des saintes images a eu lieu justement le premier dimanche du grand carême.

Pour cette raison, chaque année, en ce jour, nous célébrons le triomphe de l’orthodoxie.

Ceci, après que de nombreuses personnes, hiérarques de l’Eglise, moines, moniales, laïcs, etc., aient été persécutées et qu’elles aient offert leur vie pour défendre la vérité et la foi orthodoxe.

 

Or, pendant cette même première semaine du grand carême, sur internet, sur les réseaux sociaux, dans des échanges de courriels, dans des échanges au téléphone ou en tête à tête, nous avons pu être témoins, avec une certaine consternation et une grande tristesse, de propos irrespectueux, indécents et tout fait indignes à l’égard de sa Sainteté Cyrille, le patriarche de Moscou et de toute la Russie.

 

Au point que plusieurs personnes se sont élevées et se sont exprimées ouvertement pour demander que Sa Sainteté le patriarche Cyrille ne soit plus commémoré au cours des offices liturgiques.

 

. nous avons rappelé précédemment, du point de vue de l’ecclésiologie orthodoxe, que notre archevêché doit être placé sous la protection et l’omophore d’un patriarche d’une Eglise reconnue comme canonique.

. notre archevêché, par ailleurs, regroupe des paroisses, des communautés ou des églises orthodoxes de tradition russe en Europe occidentale : justement, dans la tradition russe, on commémore, à chaque office liturgique, le patriarche auquel on est rattaché canoniquement, ce qui n’est pas le cas de la tradition grecque ni de la tradition serbe, par exemple.

. ne pas commémorer Sa Sainteté le patriarche Cyrille, c’est prendre la responsabilité de faire venir la politique dans l’Eglise, c’est importer les affaires du monde dans le champ et dans le vigne bénie de l’Eglise. Cela constitue un grave péché dont il faut absolument s’abstenir et qu’il faut vivement combattre.

 

Rappelons-nous, dans l’évangile selon saint Jean le Théologien, les mots du début du chapitre 17 – ce qu’on appelle communément la prière sacerdotale :

 

C’est pour eux que je prie. Je ne prie pas pour le monde, mais pour ceux que tu m’as donnés. (…). Je ne te prie pas de les ôter du monde mais e les préserver du malin.

 

аз о сих молю: не о всем мире молю, но о тех, ихже дал еси мне. (...).

не молю, да возмеши их от мира, но да соблюдеши их от не приязни.

 

Du point de vue des canons de l’Eglise, le seul cas où l’on peut s’affranchir de l’obéissance à l’évêque, donc au métropolite et au patriarche, c’est lorsque celui-ci tombe dans l’hérésie.

Dans le cas présent, le patriarche Cyrille n’a tenu, à aucun moment, des propos hérétiques.

 

Le patriarche Cyrille est un haut hiérarque de notre Eglise orthodoxe, c’est même le hiérarque le plus élevé au sein de la hiérarchie ecclésiale à laquelle notre archevêché est rattaché.

Rappelons tout d’abord qu’en tant que patriarche, il a été intronisé dans l’Eglise au cours d’un office dit patriarcal qui ressemble beaucoup à une cérémonie épiscopale normale (avec quelques petites différences, cependant).

Il y a donc eu un sacrement et l’intervention de la grâce divine du Saint Esprit, dans l’Eglise, au cours de cette intronisation solennelle.

 

Dans l’Evangile, on peut lire à plusieurs endroits que : « quiconque parlera contre le Fils de l’homme, il lui sera pardonné, mais, à celui qui blasphèmera contre le Saint esprit, il ne sera point pardonné » (Lc 12, 10).

 

и всяк иже речет слово на сына человеческаго, оставится ему: а на святаго духа хулившему не оставится.

 

Et puis, il faut relire un certain paragraphe, extrait du livre autobiographique de Mgr Euloge « le chemin de la vie — путь моей жизни », paragraphe qui se situe juste après l’élection du patriarche Mgr Tikhon, au cours du concile de Moscou de 1917—1918, et qui illustre la fonction vénérable du patriarche, dans notre Eglise, et tout le respect que cela doit susciter parmi tous les fidèles de notre archevêché et même parmi tous les fidèles orthodoxes.

 

« Un jour, le patriarche est apparu ; il était lumineux comme le soleil. Avec quelle émotion tout le monde l’a accueilli ! Lorsqu’il est entré, tout le monde s’est mis à genoux. Il est allé directement au sanctuaire, puis il en est ressorti ; il a salué l’assemblée et, après un office d’intercession, il a béni tous les membres du concile et s’est retiré. (…). Certains d’entre nous ont compris ce jour-là ce que voulait dire réellement :

 

« Aujourd’hui, la grâce du Saint esprit nous a réunis »

 

сегодня благодать святого духа соединила нас ».

 

Personnellement, plusieurs d’entre nous avions pu être choqués et même blessés lors de l’assemblée générale extraordinaire (ou assemblée clérico-laïque) de notre archevêché, qui s’était tenue en octobre 2019. Lors de cette réunion, des laïcs et des prêtres sont intervenus au micro pour critiquer ouvertement et sans ménagement notre archevêque Jean, et même lui adresser des reproches ou tenir des propos tout à fait irrespectueux à son encontre. Si le concile de Moscou, en 1917—1918, a institué dans les paroisses ou dans les diocèses des assemblées clérico-laïques, ce n’était pas, évidemment, dans le but de soumettre les membres du clergé au feu de la critique.

 

Pourquoi faudrait-il que nous ne commémorions plus notre patriarche Cyrille ?

Pourquoi faudrait-il que nous cessions de prier pour lui ?

C’est justement dans cette période douloureuse, tragique, dramatique, où deux peuples voisins, amis, orthodoxes, s’affrontent militairement, avec ce que cela suppose, de part et d’autre, de souffrances, de haines, de morts, de blessés, de déchirements, de séparations, etc.

 

Il faut, tout particulièrement en ce moment, prier pour notre hiérarque le patriarche Cyrille, le porter dans nos prières adressées à Dieu, afin qu’il soit inspiré par le Saint Esprit et qu’il soit fortifié, encouragé, accompagné par le Seigneur.

 

Dans un peu plus d’un mois, c’est la grande et sainte semaine – великая и страстная седмица.

Le jeudi saint suivant, à l’occasion des matines du vendredi saint, nous entendrons la lecture des douze évangiles de la Passion.

Nous entendrons, en particulier, ces mots terribles :

 

— voici l’homme – се человек

— crucifie ! crucifie ! – распни, распни его

— je ne trouve point de crime en lui – аз бо не обретаю в нем вины

(Ин 19; 5-6).

 

Puis un peu plus loin :

— voici votre roi — се царь ваш

— ôte, ôte, crucifie-le — возми, возми, распни его

— crucifierai-je votre roi ? — царя ли вашего распну;

(Ин 19; 14-15)

 

Au cours de la divine liturgie, à de très nombreux moments, que ce soit dans les prières du prêtre, dans les ecténies prononcées par le diacre, dans les chants entonnés par le chœur, il est question de notre indignité présente et de notre demande instante, implicite ou explicite, adressée au Seigneur, afin d’être rendus dignes :

— de nous tenir debout dans l’Eglise.

— de nous tenir droit devant le saint autel

— d’écouter le saint Evangile

— de communier au saint corps et au précieux sang du Christ.

 

на пример, молитва трисвятаго пения:

 

«Боже святый, (...).

сподобибый нас, смиренных и недостойнных раб твоих, и в час сей стати пред славою святаго твоего жертвенника и должное тебе поклонение и славословие приносити».

 

« Dieu Saint, (…).

Tu nous as rendus dignes, nous tes humbles et indignes serviteurs, de nous tenir encore en cette heure devant la gloire de ton saint autel et de t’apporter l’adoration et la louange qui te conviennent … ».

 

Nous devons nous efforcer de nous approcher de cette dignité – достоинство – et de chercher à l’atteindre, que l’on soit fidèle de l’Eglise, membre de la paroisse ou membre du conseil paroissial.

 

« tout est permis, mais tout n’est pas utile ; tout est permis, mais tout n’édifie pas », a écrit l’apôtre Paul, dans sa première lettre aux Corinthiens (1 Cor. 10, 23).

 

вся ми леть суть, но не вся на пользу: вся ми леть суть, но не вся назидают.

 

Encore une fois, l’Eglise est dans le monde mais l’Eglise n’est pas de ce monde et n’appartient pas au monde.

En tout cas, l’Eglise doit s’efforcer de ne pas dépendre du monde ni d’être assujettie au monde, elle doit tendre à devenir une image, puis une sainte icône, enfin l’antichambre du Royaume de Dieu sur terre.

 

En tant que membres de l’Eglise, en tant que chrétiens orthodoxes, en tant que personnes désirant devenir, sincèrement et humblement, des disciples du Christ, nous devons y contribuer autant que possible, chacun et chacune d’entre nous, à la place que le Seigneur nous a assignée.

En tant que membres de l’Eglise, nous devons absolument éviter d’importer et d’introduire la politique dans l’enceinte de la sainte Eglise, d’y faire entrer les affaires du monde, nos discussions, nos disputes, nos critiques, nos jugements, notre colère, notre haine, nos peurs, nos angoisses, etc.

 

Dans un peu plus d’un mois, nous allons entonner ce merveilleux chant, si gracieux, qui précède la procession solennelle autour de l’église, avant l’annonce de la résurrection du Christ (Mc 16 ; 1-8) et la célébration des matines pascales.

 

воскресение твое Христе спасе, ангели поют на небесех

и нас на земли сподоби чистым сердцем тебе славити.

 

Ta résurrection, ô Christ Sauveur, les anges la chantent dans les cieux.

Accorde-nous (rends-nous dignes) aussi, à nous sur la terre, de te célébrer avec un cœur pur.

 

Cela renvoie à l’une des béatitudes les plus profondes, chantée au cours de la liturgie, juste avant la petite entrée :

 

блажени чистии сердцем: яко тии Бога узрят (Мф 5, 8).

 

Bienheureux ceux qui sont purs de cœur : car ils verront Dieu.

 

Dans la philocalie, il est rappelé que la finalité de notre vie sur terre, c’est de nous préparer à entrer dans le Royaume de Dieu. Mais le but de notre vie, c’est d’acquérir un cœur.

Dans chacune de nos actions, dans chacune de nos paroles, pour chacune de nos pensées, il faut s’efforcer, autant que possible, de nous demander si cette action accomplie, si cette parole prononcée ou si cette pensée, présente à l’esprit, vont nous conduire, finalement, à nous rapprocher de la pureté du cœur.

 

и нас на земли сподоби чистым сердцем тебе славити.

 

Amen

Higoumène Alexis