Dimanche 15 mai 2022

Quatrième dimanche après Pâques

Dimanche du paralytique

 (Jn 5. 1-15)

 

Le Christ est ressuscité !

Au Nom du Père, du Fils et du Saint Esprit,

Jésus a vu un homme malade, depuis trente-huit ans, couché, et Il lui a demandé :

« Veux-tu être guéri ? ». ты хо́чешь исцели́ться ?

C’est ce que nous venons d’entendre, aujourd’hui, dans l’évangile selon saint Jean.

Saint Luc, dans son évangile, raconte comment l’aveugle Bartimée a recouvert la vue.

Jésus s’approchait de Jéricho et l’aveugle a crié :

« Jésus, Fils de David, aie pitié de moi ! ».

Jésus s’est arrêté et Il a ordonné qu’on lui amène Bartimée puis Il lui a demandé :

« Que veux-tu que je fasse pour toi ? ». что ты хо́чешь, что́бы я сде́лал для тебя́?

Il y a, ici, un premier enseignement à tirer, lorsque nous voulons accomplir ou participer à une action sociale, c’est-à-dire à une action tournée vers les autres : le Christ nous invite à nous demander et même à interroger le bénéficiaire de notre action, afin de préserver sa liberté et de lui accorder du respect ainsi qu’une forme de dignité : veut-il être secouru, accepte-t-il d’être aidé, soulagé, réconforté par nos soins ?

э́тот челове́к хо́чет, что́бы его́ спасли́? принима́ет ли он по́мощь, облегче́ние и́ли утеше́ние?

Le paralytique a répondu à la question :

« Seigneur, je n’ai personne pour me jeter dans la piscine quand l’eau est agitée, et, pendant que j’y vais, un autre descend avant moi » (Jn 5, 7).

Jésus lui a donné un ordre :

« Lève-toi, prends ton lit et marche » (Jn 5, 8). встань, возьми́ свою́ посте́ль и иди́.

Il y a là un second enseignement sur lequel nous pouvons méditer : l’action sociale que nous voulons entreprendre a-t-elle bien pour but d’améliorer le sort ou la condition de ceux qui vont en être les bénéficiaires, de leur faire du bien, de leur conférer de l’aide ou de leur accorder un soulagement ?

Dans la Philocalie, il nous est donné le conseil suivant : lorsque nous nous interrogeons sur le bien-fondé de telle action ou de telle initiative ou encore de telle entreprise que nous désirons accomplir, nous devons répondre à la question en écoutant attentivement la voix de notre conscience :

« Qu’est-ce qui ferait plaisir à Dieu ? Qu’est-ce qui, précisément, serait agréé sur l’autel de notre Dieu ? ».

Dans le cas présent, il est facile de répondre : que cet homme malade depuis trente-huit ans, que ce paralytique couché sous l’un des portiques de la piscine, appelée Bethesda, soit guéri, qu’il puisse se relever et qu’il puisse marcher en toute autonomie.

когда́ мы соверша́ем де́йствие в по́льзу на́шего бли́жнего, мы та́кже должны́ име́ть уве́ренность, что э́то бу́дет уго́дно Бо́гу.

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Nous avons entendu la parabole du jugement dernier le dimanche qui précède le dimanche du pardon – il n’y a donc pas si longtemps. C’était le 27 février dernier, il y a un peu plus de deux mois et demi en arrière.

« Toutes les fois que vous avez fait ces choses à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous les avez faites » (Mt 25, 40). мне сотвори́сте

« Toutes les fois que vous n’avez pas fait ces choses à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous ne les avez pas faites » (Mt 25, 45). ни мне сотвори́сте

Ainsi, une action sociale véritablement chrétienne consiste à agir pour le prochain, pour le voisin, pour tous ceux de notre entourage proche ou lointain, en ayant pour seul but d’accomplir tout cela pour le Seigneur.

C’est cela qui en constitue le critère authentique.

Il faut donc renverser la proposition formulée ainsi dans l’évangile, pour en saisir exactement la portée.

C’est très bien si vous avez fait ces choses à l’un de ces plus petits, à condition de les avoir accomplies pour la gloire du Seigneur.

 

A contrario, vous avez plutôt mal agi ou bien vous n’avez pas réalisé une action sociale véritablement chrétienne si vous avez simplement fait ces choses à l’un de ces plus petits, sans avoir pensé à les effectuer pour la gloire du Seigneur.

Il ne s’agit pas, évidemment, de chercher à tout ramener à Dieu, il ne s’agit pas non plus d’ignorer ou d’occulter la personne humaine, encore moins de l’instrumentaliser, cette personne que Dieu a introduite dans ma vie ou qu’Il a placée sur mon chemin.

Il s’agit de se rappeler et de ressentir que, dans tout être humain, il y a Dieu au fond de son cœur, il y a le Christ, il y a une âme immortelle créée par le souffle de Dieu, cette âme créée à l’image de Dieu et selon sa ressemblance.

Ainsi, l’amour chrétien qui doit être toujours le moteur ou le ressort de toute action sociale vraie et sincère, c’est un amour chrétien concret, personnel, attentif, respectueux, délicat, de la personne humaine que Dieu m’a fait rencontrer dans ma vie quotidienne, à un moment donné.

христиа́нская любо́вь всегда́ должна́ быть конкре́тной, ли́чной, внима́тельной и уважи́тельной по отноше́нию к челове́ку, кото́рого Бог поста́вил на моём пути́.

En d’autres termes, l’amour chrétien représente une tension ou encore un effort, vécu dans l’ascèse, dans l’humilité et dans la patience, pour essayer de voir ou d’apercevoir le Christ dans cette personne, au fond de son cœur, au-delà des traits physiques de son visage, au-delà de son apparence corporelle, de ses qualités professionnelles ou personnelles ; pour essayer d’atteindre l’âme qui représente la part de Dieu qui gît dans cette personne, qui l’inspire et qui lui donne l’énergie et la vie.

Saint Jean le théologien nous a laissé, dans son évangile, cette parole profonde :

« C’est l’Esprit qui vivifie ; la chair ne sert à rien. Les paroles que je vous ai dites sont Esprit et vie » (Jn 6, 63).

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Dans le livre que Mère Marie (Skobtsova) a écrit et qui est intitulé « le sacrement du frère », on trouve au début une courte biographie d’elle, rédigée par Hélène Arjakovsky-Klépinine.

Mère Marie a été tonsurée moniale par Mgr Euloge et elle a pris l’habit monastique en mars 1932, à l’église Saint Serge justement : elle est devenue alors Mère Marie.

Détail presque surprenant : sa biographe a écrit que, pour elle, à ce moment-là, le temps de l’action a commencé : d’abord, le foyer pour femmes sans famille puis le foyer plus grand, situé rue Lourmel dans le 15ème arrt.

Il est vrai que, pour Mère Marie, un monachisme contemplatif, replié sur soi, préservé et protégé par rapport aux vicissitudes et aux turbulences du monde, n’est plus adapté à notre époque. Elle a accompli, dans le monde et là où le Seigneur l’a placée, d’innombrables actions tournées et même centrées sur son prochain, que ce soit pour le nourrir, pour le vêtir, pour le visiter, pour l’aider et pour l’encourager.

En simplifiant à peine, la première partie de sa vie, qui peut ressembler à celle de chacun et de chacune d’entre nous, constitue une série d’actions, d’œuvres, de travaux et d’ouvrages réalisés au profit et au bénéfice de son entourage.

Puis, là aussi en schématisant à peine, la dernière partie de sa vie, qui peut peut-être aussi être comparée à celle de chacun de nous, correspond à une vie plus contemplative, plus intérieure, en tout cas moins portée vers l’action, fondée sur la prière, sur l’écoute, sur la compassion, sur la communion des âmes, etc.

Mais cela représente, tout autant, une forme d’action sociale, certes plus cachée, plus discrète, moins spectaculaire, moins visible, dans l’ombre, dans le silence, sans cesse effleurée par la maladie, par la faiblesse, par une part de découragement, peut-être aussi par une forme de révolte et, finalement, par la mort du corps.

Mère Marie, après son enfermement à Romainville, a été évacuée dans le camp de Ravensbrück en 1943 : là, elle a connu la faim, la soif, le froid, la fatigue, l’épuisement.

Elle a atteint l’extrême limite de ses forces.

A la fin, elle restait couchée, les yeux fermés, en arborant un air grave.

Sa biographe indique qu’elle a marqué ses compagnes de captivité qui partageaient son quotidien, par son énergie surprenante, par son écoute inattendue, par son contact direct et franc, par sa foi dans la personne humaine, par son amour des autres, en dernier lieu par un don de soi sans limites.

Encore une fois, c’est l’illustration d’une action sociale véritablement et authentiquement chrétienne parce qu’elle vise, avant tout, l’âme logée à l’intérieur de chaque être humain, avec un infini respect et une grande délicatesse.

Cela rejoint les deux paroles du Christ, que nous avons citées au début, et qui ont été prononcées dans deux circonstances similaires mais distinctes :

« Veux-tu être guéri ? »

« Que veux-tu que je fasse pour toi ? »

Amen

 

Higoumène Alexis